Philippe Korda et son association Energie Jeunes, forment les collégiens à aimer apprendre. Le combat contre les inégalités scolaires passe par l’innovation.
Un jour, il m’a semblé que certaines recherches récentes et assez fascinantes, en sciences du comportement, pourraient donner lieu à une exploitation dans le cadre de programmes éducatifs.
Par exemple, le fait que de nombreux comportements sont déterminés par une seule représentation mentale : selon que l’élève imagine le cerveau comme un organe figé ou malléable, il réagira différemment face à une difficulté d’apprentissage. Et on peut modifier cette représentation mentale en quelques minutes, de façon définitive !
J’ai d’abord essayé de proposer mon idée à des associations existantes, mais je m’y suis mal pris puisqu’aucune n’y a cru. Alors, en désespoir de cause, je me suis lancé !
J’ai créé l’Association Energie Jeunes, après avoir proposé à deux ou trois dirigeants d’entreprises de m’aider à en financer le démarrage.
Des travaux scientifiques récents démontrent qu’il est possible d’améliorer les performances scolaires d’élèves de milieux défavorisés en réalisant des interventions très courtes. Ces interventions visent à déclencher des changements d’état d’esprit et à développer l’autodiscipline chez les élèves. Energie Jeunes est la première association au monde à traduire ces découvertes scientifiques en programmes concrets, déployés gratuitement et à grande échelle.
Aider chaque élève à exprimer son potentiel
Les programmes d’Energie Jeunes visent à aider chaque jeune à croire en ses capacités, à découvrir la joie d’apprendre et à s’investir pleinement dans sa scolarité. A l’issue de leur programme, les élèves prennent la décision de faire davantage d’efforts pour réussir leurs études, adoptent des engagements précis et acquièrent de nouvelles habitudes de travail.
Des protocoles courts pour des effets significatifs et durables
Les grands changements dans notre vie sont souvent déclenchés par des événements ponctuels : une rencontre, un livre… La recherche a démontré que ces déclics pouvaient être créés intentionnellement sous la forme de protocoles très courts, par exemple à l’aide de courtes vidéos, avec des effets significatifs et durables sur l’état d’esprit, les comportements et les trajectoires scolaires.
Des outils pédagogiques extrêmement sophistiqués
Pour permettre un large déploiement de ses programmes en garantissant la qualité de l’expérience offerte aux élèves, Energie Jeunes a développé de multiples supports pédagogiques : jeux d’apprentissage, vidéos par dizaines, livrets d’animation, application mobile etc.
Une action ciblée dans les Collèges de l’éducation prioritaire
Durant l’année scolaire 2019-2020, Energie Jeunes a formé 110 600 élèves de collèges de quartiers peu favorisés, sur tout le territoire métropolitain et à La Réunion. Ces élèves sont principalement scolarisés dans des collèges classés par l’Etat en réseau d’éducation prioritaire.
L'association est reconnue d’Utilité Publique et agréée par le Ministère de l’Education Nationale. Grâce à ses résultats, à l’appui du Ministère de l’Éducation Nationale, au soutien actif des Académies et partenaires privés, et à l’engagement de plus de 720 volontaires, Énergie Jeunes forme chaque année plus de 100.000 élèves, dans des territoires défavorisés, partout en France.
Parmi les principales difficultés rencontrées, le scepticisme de beaucoup de partenaires potentiels, face à une innovation qui bousculait beaucoup d’idées reçues.
En effet, nous proposions des interventions courtes, en classes complètes, alors que beaucoup de gens pensent qu’on ne peut aider les élèves qu’avec un soutien individuel et sur la durée.
Mon entourage a été un peu étonné de me voir me lancer dans un projet de cette dimension, étant donné que mon activité professionnelle m’occupait déjà 7 jours sur 7 !
Ce qui m’a aidé dans mon parcours, ce sont les rencontres extraordinaires.
J'ai notamment rencontré deux personnes, Denis et Françoise Yon, qui ont permis à ce projet de prendre une grande dimension. Ils ont pris la direction de l’association, bénévolement, et en ont conduit le développement sur tous les plans, avec une incroyable énergie et des réussites dans tous les domaines.
Grâce à ce projet, j’ai beaucoup appris sur le développement d’une ONG, moi qui ne connaissais que le monde des entreprises, et notamment la nécessité de comprendre les attentes de parties prenantes extrêmement diverses.
Grâce à une vaste étude d’impact menée pendant cinq ans par leur laboratoire, deux titulaires du Prix Nobel d’économie, Esther Duflo et Abhikit Banerjee, considèrent que nous avons un « effet significatif sur les résultats scolaires » des élèves de milieux défavorisés qui bénéficient de notre action. Il n’y a pas d’équivalent dans le monde.
Cela est très encourageant, c’est pourquoi nous sommes engagés dans une démarche d’innovation, d’amélioration continue et d’extension de notre action à des bénéficiaires toujours plus nombreux.
Pour moi cette aventure entrepreneuriale dans le domaine associatif est exaltante, et les résultats que nous obtenons auprès des jeunes sont extrêmement gratifiants.
Avec la crise covid19, la fermeture des établissements scolaires a, hélas, encore accru les inégalités scolaires, mais elle a aussi facilité la prise de conscience de ce phénomène dans l’opinion publique.
Aussi, j’espère que nous allons bénéficier de soutiens plus massifs pour élargir notre action, auprès d’un plus grand nombre encore de bénéficiaires.
Les enseignements de cette aventure sont évidemment nombreux. Les deux principaux à mes yeux sont l’importance de la recherche scientifique dans la conception d’une action, et la nécessité d’une évaluation rigoureuse de l’impact.
Selon moi, si on veut se lancer dans un projet associatif d’envergure, on peut commencer par voir si on peut soutenir un projet existant. Vérifier que le projet apporte une solution nouvelle, pertinente et efficace, puis chercher des partenaires pour créer une grande coalition et avoir un véritable impact.